La démolition de la prison

 

La suprême injure pour une forteresse n’est pas de tomber sous les piques des assauts et les chocs des béliers ; mais sous les pics des démolisseurs et les coups de butoir des bulldozers.

 Autant le premier abandon apporte-t-il une certaine dignité, autant le second effacement est loqueteux et pitoyable. A vous en causer du chagrin.

Et pourtant, ne s’agissant pas de notre citadelle, nous nous réjouissons de savoir que, bientôt, à la place de l’ancienne Maison d’arrêt, triste, hermétique et grise en ses murs comme en son âme et conscience, s’élèveront deux beaux immeubles, gais, attrayants, bordés de vert.

 Janvier avait été le mois retenu au calendrier de la LOGIREM et confirmé en novembre dernier à Corte même par son P.D.G. M. Claudius Petit, par ailleurs député, ancien ministre, pour le commencement des travaux, De démolition, d’abord, de construction ensuite ce qui, pour une fois, rompt avec le paradoxe et l’exception qui, par habitude confirme la règle.

 Nous sommes donc à la veille de voir s’effacer, sans regret aucun, ce coin d’ombre que firent pour notre ville et sa notoriété E prigio.

 En Corse, et dans toute la France, dans les milieux pénitentiaires et… autres, les prisons de Corte étaient synonymes de conditions terribles de détention.

 En hiver, froid et humide insupportables; en été, chaleur aussi suffocante que sous les « plombs» de Venise.

 Cellules obscures, exiguës, oubliettes plus que petites pièces pour loger les prisonniers (le dictionnaire dixit) : murs d’une épaisseur désespérante. Enceinte infranchissable dont le seul avantage. de la haute façade octogonale, était de livrer au regard et à la pensée huit coins du ciel au lieu de… 4 pour le commun des mortels.

 Au regard et à la pensée seulement, l’imagination créatrice de … rêves d’évasion se heurtant à l’inaccessible toit d’azur. Et on avait laissé à l’entrée toutes les espérances.

 De sinistre mémoire (certains de nos vieilles gens en témoignent) pour les Cortenais, dont le célèbre Papillon qui, quoi qu’il fut bref, trouva son séjour insupportable, les prisons de Corte furent également impitoyables pour leur constructeur qui, dit-on, se donna la mort pour les avoir édifiées. L’Histoire n’a pas retenu le nom de ce monsieur. Elle se rappelle, d’ailleurs, très peu de choses à leur sujet : travaux de terrassement commencés en 1881 mais bientôt arrêtés faute de crédits. L’année suivante, l’entrepreneur Roch Monlau avait bouclé l’enceinte octogonale.

 En décembre 87, reprise des travaux de construction du bâtiment, d’après les plans de l’architecte départemental M. Dumoulin. Mais en 88 son contrat fut résilié, au profit d’autres entreprises puisque l’ensemble finissait, un jour, par prendre corps. C’est en juillet 1927 que fut construite l’aile latérale pour abriter les gendarmes, leurs familles et les locaux de la brigade.

 Aujourd’hui, les uns et les autres sont beaucoup mieux là où ils sont.

 Et c’est avec joie que nous assisterons, demain, à l’éclosion de la vie sur les ruines d’une forteresse devenue inutile depuis bientôt quarante ans.

Vue de la ville:  à droite démolition de l’ancienne prison