Pertidellu / Pertidone : une affaire de familles

Liste MunicipaleDepuis que le monde est monde, la soif du pouvoir aura toujours suscité bien des conflits et souvent même des rivalités au sein des familles. Corte n’aura pas échappé à ce phénomène de société et c’est ainsi que la cité, durant des lustres, et plus particulièrement à l’aune des années 1800, devait vivre au rythme des luttes Pertidone-Pertidellu.

A l’origine de ces deux clans qui plus tard devaient devenir partis politiques des fâcheries, des querelles entre les familles Gaffori opposées aux Arrighi de Casanova et Mariani.

Les belligérants ne devaient pas s’en tenir à leurs propres membres familiaux mais s’employaient à étoffer leurs effectifs.
Le Pertidone (parti majoritaire) avait à sa tête un Gaffori qu’accompagnaient notamment les Guelfucci et Palazzi au plan local mais aussi les Gavini, Pietri, Casablanca, Grimaldi au plan départemental ou de l’arrondissement. Les sympathisants étaient des membres de professions libérales qui étaient pour la plupart des propriétaires fonciers ce qui explique la forte adhésion du monde agro-pastoral qui se sentaient les obligés de leurs bailleurs et autres employeurs. Pour la plupart tous les soutiens des Gaffori habitaient le quartier des Lubiacce.

Le Pertidellu (parti minoritaire) était dirigé par les familles Arrighi de Casanova et Mariani, et épaulé par les familles parentes et alliées Filippini et Benedetti notamment. Dans les rangs des adhérents : des artisans, des officiers en retraite, des juristes mais une infime partie venue du monde ouvrier-agricole du fait que les propriétaires fonciers étaient Pertidone. Les Pertidelli habitaient souvent dans des demeures plus confortables, situées au Castellacce au cœur de la citadelle, pas dans le quartier plus populaire des Lubiacce.

Les deux clans ne vivaient pas en bonne intelligence d’une manière générale mais lorsque se profilaient les élections, c’était vraiment la guerre. On ne comptait pas le nombre d’incidents graves qui devaient rendre peu vivable l’ambiance. On devait hélas aussi noter des meurtres lors des affrontements tels ceux de l’ancien maire et notaire Louis Arrighi en 1823.

L’autorité d’État avait connaissance bien évidemment de cette situation mais elle devait en mesurer la réalité lorsqu’en mai 1831 le Préfet et ses collaborateurs qui rendaient une visite à la cité paoline étaient accueillis par un groupe de trublions du Pertidone. Rapidement les choses devaient s’envenimer, le chahut virait à l’émeute et une fois de trop il était déploré « mort d’homme » : trois victimes !

La politique à Corte devait « plomber » les relations non seulement entre partisans d’un clan ou l’autre, mais aussi entre membre d’une même famille. Au fil des années le statut des deux rivaux devait évoluer et s’affichaient alors carrément des étiquettes politiques.

Ainsi le Pertidone s’inscrivait à droite, tour à tour, en appuyant Denis Gavini et François Pietri puis plus tard Jean-Paul de Rocca Serra et Paul Patriarche et Pierre Pasquini.

Le Pertidellu, quant à lui, prenait fait et cause pour la gauche et plus particulièrement le radical-socialisme en apportant leurs suffrages aux députés Marius puis Paul-Marie puis François et tous les quatre de la famille Giacobbi et en dernier lieu Jean-Paul Luisi et Paul Giacobbi.

« Cerise sur le gâteau » dirait-on aujourd’hui, l’élection de l’un des siens au Palais Bourbon : Louis Adriani (1914-1918). Depuis aucun natif de Corte, un Curtinese Pertidellu ou Pertidone n’a ceint l’écharpe de député. L’esprit de clan prédominant toujours, cependant.

A partir de 1945 recommençaient les hostilités. La mairie à la fin de la guerre était dirigée par le Pertidellu, le maire était Jean-Baptiste Sandreschi. En 1955, après une campagne électorale très ardue, le Pertidone reprenait le pouvoir avec l’élection de Toussaint Pierucci, un Haut magistrat honoraire, toutefois issu du Pertidellu.

Le Pertidone fut détrôné en 1967 avec l’élection d’Etienne Grimaldi, autre magistrat, qui devait être détrôné à son tour en 1970 après une élection en février qui restera gravée dans les mémoires. Inscrits : 4 303. Votants : 9 647 ! Le conseil municipal devait être dissous en mai de la même année, coup dur pour la ville.

Depuis le Pertidellu, ou si l’on préfère le Parti radical-socialiste, n’a plus envoyé l’un des siens occuper le fauteuil de maire.

En mars 2020, une liste d’union aux couleurs droite-radicale-socialiste a obtenu la majorité face à une liste nationaliste. Faut-il alors conclure que le Pertidone-Pertidellu fait aujourd’hui partie du passé ?

La nostalgie parfois se réveille. L’avenir nous le dira… peut-être.

La question est cependant de savoir dans quelle mesure cette longue situation quasi féodale n’a pas été nuisible au développement de la ville. Un blocage systématique des projets, des initiatives, était constaté dès lors qu’ils n’émanaient pas d’un parti ou de l’autre.

Par Daniel COULON CERANI